Le livre 010101 (1971-2015)

Introduction

Si le livre imprimé a plus de cinq siècles et demi, le livre numérique approche les quarante-cinq ans, soit l’âge de la maturité. Le premier livre numérique date de juillet 1971. Il s’agit de l’eText #1 du Projet Gutenberg, un projet visionnaire lancé par Michael Hart pour créer des versions électroniques gratuites d'œuvres littéraires et les diffuser dans le monde entier. Au 16e siècle, Gutenberg avait permis à chacun d'avoir quelques livres. Au 21e siècle, le Projet Gutenberg permettrait à chacun d'avoir une bibliothèque gratuite. L’arrivée de l’internet en 1974 puis du web en 1990 permet à ce projet de devenir réalité.

Robert Beard, professeur de langues à l’Université Bucknell (Lewisburg, Pennsylvanie), écrit en septembre 1998: «Le web sera une encyclopédie du monde faite par le monde pour le monde. Il n'y aura plus d'informations ni de connaissances utiles qui ne soient pas disponibles, si bien que l'obstacle principal à la compréhension internationale et interpersonnelle et au développement personnel et institutionnel sera levé. Il faudrait une imagination plus débordante que la mienne pour prédire l'effet de ce développement sur l'humanité.»

En novembre 2000, signe des temps peut-être, la British Library met en ligne sur son site la version numérisée de la Bible de Gutenberg originale, premier livre à avoir jamais été imprimé. Dans les années qui suivent, le web devient une gigantesque encyclopédie, une énorme bibliothèque, une immense librairie et un médium des plus complets. De statique dans les livres imprimés, l’information devient fluide, du moins pour les sujets scientifiques et techniques, avec possibilité d’actualisation constante. On lit des livres numériques sur ordinateur personnel, sur PDA, sur smartphone, sur tablette et sur liseuse. Mais, contrairement aux pronostics un peu rapides de quelques spécialistes enthousiastes, le papier n’est pas mort pour autant et les adeptes du «zéro papier» restent peu nombreux. Beaucoup d’entre nous sont toujours amoureux du livre imprimé, à la fois pour son côté pratique et pour le plaisir de l’objet, tout en reconnaissant les nombreuses qualités du livre numérique.

Malgré les années qui passent, la terminologie du sujet reste encore fluctuante. Doit-on parler de livre électronique ou de livre numérique? La question qu’on se posait en 1995 semble toujours d’actualité vingt ans plus tard. Selon Jean-Gabriel Ganascia, qui était directeur du GIS (Groupement d’intérêt scientifique) Sciences de la cognition en 1995, le terme «livre électronique» est «à la fois restrictif et inopportun». Ce terme est restrictif parce que le livre désigne «un support particulier de l’écrit qui est advenu à un moment donné dans l’histoire» alors que le document électronique comporte à la fois de l’écrit, de l’image et du son. Ce terme est également inopportun parce qu’on ne peut guère juxtaposer au terme «livre» le terme «électronique», «un nouvel objet immatériel défini par un ensemble de procédures d’accès et une structuration logique». De plus, qu’il s’agisse de sa forme exacte ou de sa fonction exacte, le statut même de ce qu’on appelle «livre électronique» n'est pas encore déterminé.

C’est aussi l’avis de Pierre Schweitzer, concepteur du projet @folio, tablette numérique de lecture nomade, qui écrit en juillet 2002: «J’ai toujours trouvé l’expression "livre électronique" très trompeuse, piégeuse même. Car quand on dit "livre", on voit un objet trivial en papier, tellement courant qu’il est devenu anodin et invisible... alors qu’il s’agit en fait d’un summum technologique à l’échelle d’une civilisation. Donc le terme "livre" renvoie sans s’en rendre compte à la dimension éditoriale - le contenu -, puisque "l’objet technique", génial, n’est pas vraiment vu, réalisé... Et de ce point de vue, cette dimension-là du livre, comme objet technique permettant la mise en page, le feuilletage, la conservation, la distribution, la commercialisation, la diffusion, l’échange, etc., des œuvres et des savoirs, est absolument indépassable. Quand on lui colle "électronique" ou "numérique" derrière, cela renvoie à tout autre chose: il ne s’agit pas de la dimension indépassable du codex, mais de l’exploit inouï du flux qui permet de transmettre à distance, de recharger une mémoire, etc., et tout ça n’a rien à voir avec le génie originel du codex! C’est autre chose, autour d’internet, de l’histoire du télégraphe, du téléphone, des réseaux...»

Le présent livre – qui privilégie le terme «livre numérique» - tente de dresser un panorama de ce vaste sujet, mais ne prend malheureusement pas en compte - ou si peu - les domaines que sont les manuels d’enseignement et les livres pour enfants. On ne parle donc ni du cartable électronique ni de Harry Potter, excepté pour son édition en braille. Les 234 pages du livre ne peuvent couvrir les multiples facettes d’un sujet qui évolue sans arrêt. Tenter de faire le tour de la question ne signifie pas prétendre à l’exhaustivité. Concilier analyse et synthèse pour un tel sujet est loin d’être évident, et coller à l’actualité tout en gardant le recul nécessaire est souvent une gageure.

Comment l’aventure du livre numérique a-t-elle débuté? Quelles sont les évolutions au fil du temps? Quelles sont les perspectives? Tel est le voyage virtuel présenté dans ces pages, un voyage sans frontières qui pourrait tout aussi bien s'intituler «Du Projet Gutenberg à l'iPad», en passant par 00h00, @folio, ActuaLitté, Adobe, Amazon, Apple, l’ASCII, Athena, Bookeen, Bookshare, Le Choucas, Citizendium, le copyleft, Creative Commons, le Cybook, CyLibris, DAISY, l’eBookMan, E Ink, l’Encyclopedia of Life, l’EPUB, l’Ethnologue, Eurodicautom, Europeana, Facebook, Franklin, Gabriel, Gallica, Gemstar, Google, la GPL, le Gyricon, Indiscripts, l'Internet Archive, l’iPhone, l’ISOC, le Kindle, Livre-rare-book, Microsoft, Mobipocket, le Nook, Numilog, l’Online Books Page, l’OpenCourseWare, Palm, le PDF, Plastic Logic, PLOS, le Pocket PC, Psion, le Rocket eBook, le SoftBook Reader, le Sony Reader, Twitter, Ulysse, Unicode, le W3C, Wikipédia, WordReference.com, yourDictionary.com, Zazieweb et bien d'autres.

Autre originalité de ce livre, la quasi-totalité des informations émane de l’internet. Les premiers sites sont «épluchés» directement sur le web dès ses débuts. Le travail se poursuit au fil des ans, en suivant d’une part l’évolution de ces sites et d’autre part l’actualité du sujet. Les entretiens sont conduits via l’internet après avoir trouvé quelques courriels sur les sites. Les échanges se poursuivent d’année en année, à distance et en personne. Les entretiens, enquêtes et analyses sont publiés au fur et à mesure sous la forme de pages web sur le Net des études françaises (NEF) avant d’être convertis en livres numériques dans le Projet Gutenberg.

Ce livre lui-même a sa propre histoire sur une quinzaine d’années, une histoire dont la constante est sa gratuité et sa déclinaison en divers formats pour lecture sur tout appareil de lecture. Après une première version publiée par les éditions 00h00 en 1999, doublée d’une version web gratuite sur le site de Biblio On Line, la version suivante est publiée sur le Net des études françaises (NEF) en 2003, avec une version PDF disponible chez Numilog. Ce livre poursuit ensuite sa route – parfois quelque peu chaotique - en trois langues (français, anglais, espagnol) dans les collections du Projet Gutenberg, à l’invitation de Michael Hart, avant de rejoindre nombre d’autres bibliothèques virtuelles. Ce livre se plie aussi volontiers à de multiples expériences, dont un beau PDF interactif de la main de Marc Autret et un diaporama trilingue dans Picasa. Pour célébrer le quarantième anniversaire du Projet Gutenberg en 2011, il se mue en une série d’articles publiés en français dans ActuaLitté et en anglais dans Project Gutenberg News. Dès les bougies soufflées, il devient livre à nouveau en 2011 et 2012 pour aboutir enfin à l’opus que vous avez sous les yeux.

Mais un livre – numérique ou non - est d’abord un ensemble de mots émanant d’une personne voulant communiquer ses pensées, ses sentiments ou son savoir, à plus ou moins large échelle selon ses souhaits et le public visé. Souvent appelé le père de l'internet parce que co-inventeur en 1974 des protocoles du réseau, Vinton Cerf aime à rappeler que l'internet relie moins des ordinateurs que des personnes et des idées. Ce fut le cas pour ce livre – dans ses versions précédentes comme dans sa version actuelle. Merci à tous - professionnels du livre et apparentés - pour leur participation, leur temps et leur amitié.

Merci à Sophie Amaury, Nicolas Ancion, Alex Andrachmes, Guy Antoine, Silvaine Arabo, Arlette Attali, Marc Autret, Isabelle Aveline, Jean-Pierre Balpe, Emmanuel Barthe, Robert Beard, Michael Behrens, Michel Benoît, Guy Bertrand, Olivier Bogros, Christian Boitet, Bernard Boudic, Bakayoko Bourahima, Marie-Aude Bourson, Lucie de Boutiny, Anne-Cécile Brandenbourger, Alain Bron, Patrice Cailleaud, Tyler Chambers, Pascal Chartier, Richard Chotin, Alain Clavet, Jean-Pierre Cloutier, Jacques Coubard, Luc Dall’Armellina, Kushal Dave, Cynthia Delisle, Émilie Devriendt, Bruno Didier, Catherine Domain, Helen Dry, Bill Dunlap, Pierre-Noël Favennec, Gérard Fourestier, Pierre François Gagnon, Olivier Gainon, Jacques Gauchey, Raymond Godefroy, Muriel Goiran, Marcel Grangier, Barbara Grimes, Michael Hart, Roberto Hernández Montoya, Randy Hobler, Eduard Hovy, Christiane Jadelot, Gérard Jean-François, Jean-Paul, Anne-Bénédicte Joly, Matthieu Joly, Brian King, Geoffrey Kingscott, Steven Krauwer, Gaëlle Lacaze, Michel Landaret, Hélène Larroche, Pierre Le Loarer, Claire Le Parco, Annie Le Saux, Fabrice Lhomme, Philippe Loubière, Pierre Magnenat, Xavier Malbreil, Alain Marchiset, Maria Victoria Marinetti, Michael Martin, Tim McKenna, Emmanuel Ménard, Yoshi Mikami, Jacky Minier, Jean-Philippe Mouton, John Mark Ockerbloom, Caoimhín Ó Donnaíle, Jacques Pataillot, Alain Patez, Germain Péronne, Nicolas Pewny, Marie-Joseph Pierre, Olivier Pujol, Anissa Rachef, Peter Raggett, Patrick Rebollar, Philippe Renaut, Jean-Baptiste Rey, Philippe Rivière, Blaise Rosnay, Claire Rousseau, Bruno de Sa Moreira, Pierre Schweitzer, Henri Slettenhaar, Murray Suid, June Thompson, Zina Tucsnak, François Vadrot, Christian Vandendorpe, Robert Ware, Russon Wooldridge et Denis Zwirn.

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