Le livre 010101 (1971-2015)

La presse imprimée se met en ligne

Le métier de journaliste change

À la fin des années 1990, quelles sont les retombées de l’internet pour les journalistes? Bernard Boudic, responsable éditorial du site web du quotidien Ouest-France (site lancé en juillet 1996), explique en juin 1998: «Elles sont encore minces. Nous commençons seulement à offrir un accès internet à chacun (rédaction d’Ouest-France: 370 journalistes répartis dans soixante rédactions, sur douze départements... pas simple). Certains utilisent internet pour la messagerie électronique (courrier interne ou externe, réception de textes de correspondants à l’étranger, envoi de fichiers divers) et comme source d’informations. Mais cette pratique demande encore à s’étendre et à se généraliser. Bien sûr, nous réfléchissons aussi à tout ce qui touche à l’écriture multimédia et à sa rétro-action sur l’écriture imprimée, aux changements d’habitudes de nos lecteurs, etc. (...) Internet est à la fois une menace et une chance. Menace sur l’imprimé, très certainement (captation de la pub et des petites annonces, changement de réflexes des lecteurs, perte du goût de l’imprimé, concurrence d’un média gratuit, que chacun peut utiliser pour diffuser sa propre info, etc.). Mais c’est aussi l’occasion de relever tous ces défis, de rajeunir la presse imprimée.»

Tous sujets que l'on retrouve quelques années plus tard dans les débuts du livre numérique: rapport accru de l'auteur avec ses lecteurs, version payante et/ou version gratuite, version numérique et/ou version imprimée, etc.

L’internet et les technologies numériques apportent aussi leur lot de problèmes, présentés lors du Colloque sur la convergence multimédia organisé en janvier 1997 à Genève par le Bureau international du travail (BIT). Bernie Lunzer, secrétaire-trésorier de la Newspaper Guild (États-Unis), insiste sur les batailles juridiques faisant rage autour des problèmes de propriété intellectuelle et sur la nécessité de contrer l'attitude des directeurs de publication, qui incitent les écrivains indépendants à signer des contrats particulièrement choquants cédant tous leurs droits au directeur de publication, avec une contrepartie financière ridicule. Heinz-Uwe Rübenach, de l'Association allemande de directeurs de journaux (Bundesverband Deutscher Zeitungsverleger), insiste lui aussi sur la nécessité pour les entreprises de presse de gérer et de contrôler l'utilisation sur le web des articles de leurs journalistes, et d'obtenir une contrepartie financière leur permettant de continuer à investir dans les nouvelles technologies.

Un problème tout aussi préoccupant – mis en avant par les organisations syndicales - est celui de la pression constante exercée sur les journalistes des salles de rédaction, dont le travail doit être disponible à longueur de journée et non plus seulement en fin de journée. Ces tensions à répétition sont encore aggravées par un travail à l'écran pendant huit à dix heures d'affilée. Le rythme de travail et l'utilisation intensive de l'ordinateur entraînent des problèmes de sécurité au travail. Selon Carlos Alberto de Almeida, président de la Fédération nationale des journalistes au Brésil (Federação Nacional dos Jornalistas - FENAJ), on pensait que les nouvelles technologies allaient rationaliser le travail et réduire sa durée afin de favoriser l'enrichissement intellectuel et les loisirs. En pratique, les professionnels des médias sont obligés d'effectuer un nombre d'heures de travail en constante augmentation. La journée légale de huit heures est en fait une journée de dix à douze heures. Les heures supplémentaires ne sont pas payées, comme ne sont pas payées non plus celles faites pendant le week-end par les journalistes censés être en période de repos.

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