Le livre 010101 (1971-2015)

Le livre numérique et ses canaux de diffusion

Une progression régulière

La vente de livres numériques débute donc timidement et ne commence à se généraliser qu’en 2002. Les titres disponibles sont vendus soit directement par les éditeurs, soit par le biais des libraires, avec impression à la demande grâce aux nouvelles technologies d’impression numérique développées notamment par les sociétés Xerox, Océ et IBM.

Téléchargeables gratuitement sur ordinateur et sur PDA, les principaux logiciels de lecture sont l’Acrobat Reader (lancé en juin 1993 et remplacé par l’Adobe Reader en mai 2003), le Mobipocket Reader (lancé en mars 2000), le Microsoft Reader (lancé en avril 2000) et le Palm Reader (lancé en mars 2001). À l’exception du format PDF (Portable Document Format) apparu dès 1993, les formats utilisés sont basés sur l’OeB (Open eBook), lancé en septembre 1999 en tant que nouveau format standard (avec le PDF), puis remplacé par l’EPUB en septembre 2007.

On voit apparaître les premières librairies numériques, à savoir des librairies vendant exclusivement des livres numériques, le plus souvent par téléchargement et dans plusieurs formats. Outre le fait qu’il faille une machine pour le lire - mais, après tout, c’est ce qui le caractérise, en attendant le papier électronique de demain - l’obstacle majeur à la diffusion du livre numérique est le faible nombre de titres disponibles. Mais, dès cette date, nombre d’éditeurs numérisent - ou font numériser - leurs fonds, à la perspective d’un marché naissant qui devrait connaître une forte expansion. Éditeurs en ligne et libraires numériques négocient patiemment les droits auprès des éditeurs traditionnels, et ce non sans mal puisque, à tort ou à raison, la profession reste très inquiète des risques de piratage.

Selon Zina Tucsnak, ingénieure d’études en informatique au laboratoire ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française), interviewée en novembre 2000, «l’ebook offre une combinaison d’opportunités: la digitalisation et l’internet. Les éditeurs apportent leurs titres à tous les lecteurs du monde. C’est une nouvelle ère de la publication.» D’après Bakayoko Bourahima, documentaliste à l’ENSEA (École nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée) d’Abidjan, interviewé en janvier 2001, «il faut voir par la suite comment il se développera et quelles en seront surtout les incidences sur la production, la diffusion et la consommation du livre. À coup sûr cela va entraîner de profonds bouleversements dans l’industrie du livre, dans les métiers liés au livre, dans l’écriture, dans la lecture, etc.»

Le prix du livre numérique est inférieur d’environ 30% à celui du livre imprimé. Sa commande et sa livraison sont quasi immédiates via l’internet. Quant à sa «taille» et son «poids», ils sont nuls, bien qu’en pareil cas il faille bien sûr prendre en compte la taille et le poids de l’appareil nécessaire pour le lire. En 2003, un PDA de type Pocket PC ou Palm Pilot pesant environ 200 grammes permet d’emporter avec soi une quinzaine de romans de 200 pages. Un ordinateur ultra-portable pesant 1,5 kilo avec un disque dur de 6 Go permet de stocker environ 5.000 livres.

Quelle est la «taille» d’un fichier de livre numérique, et son temps de téléchargement? Quelques exemples sont donnés à titre indicatif dans la FAQ de Numilog en 2003. Une nouvelle de 50 pages représente un fichier de 150 Ko. Le temps nécessaire à son téléchargement est de 37 secondes avec un modem 56 K et de 3 à 6 secondes avec une connexion à haut débit (avec une ligne ADSL). Un roman de 300 pages représente un fichier de 1 Mo et son temps de téléchargement est de 4 minutes avec un modem 56 K et de 20 à 40 secondes avec une connexion à haut débit. Un guide pratique de 200 pages incluant des tableaux représente un fichier de 1,5 Mo et son temps de téléchargement est de 6 minutes avec un modem 56 K et de 30 à 60 secondes avec une connexion à haut débit. Un livre de photos représente un fichier de 10 Mo et son temps de téléchargement est de 41 minutes avec un modem 56 K et de 3 à 6 minutes avec une connexion à haut débit.

Chez les adeptes du livre numérique, l’enthousiasme des premiers temps fait place à plus de mesure dans les années qui suivent. On ne parle plus du «tout numérique» pour le proche avenir, mais plutôt de la publication simultanée d’un même titre en deux versions, imprimée et numérique. Pour mettre en place ce nouveau mode de distribution, la tâche est rude. Il faut constituer les collections, améliorer les logiciels de lecture, rendre le prix des appareils de lecture abordable et habituer le grand public à lire un livre à l’écran.

Alors que l’eBook est l’une des vedettes de la Foire internationale du livre de Francfort (Allemagne) en octobre 2000, il se fait beaucoup plus modeste les années suivantes. La même remarque vaut pour le Salon du livre de Paris qui, après avoir proposé un Village eBook en mars 2000, puis le premier sommet européen de l’édition numérique – dénommé eBook Europe 2001 – l’année suivante, n’organise pas de grande manifestation spécifique en 2002 et 2003. Il faut attendre le Salon du Livre de 2006 pour observer à nouveau un réel engouement, avec une vaste «plateforme numérique» rassemblant des imprimeurs numériques, des sociétés de numérisation d’ouvrages et des fabricants de livres numériques.

Cependant, malgré le pessimisme relatif ayant succédé aux déclarations enthousiastes, le livre numérique poursuit patiemment son chemin. Si sa progression est lente, elle est constante. En 2001, l’éditeur Random House vend deux fois plus de livres numériques qu’en 2000. Tous éditeurs confondus, les ventes de 2001 se chiffrent par milliers pour le New World College Dictionary de Webster, les ouvrages de fiction de Stephen King et de Lisa Scottoline, les livres d’économie et les manuels pratiques. La librairie numérique Palm Digital Media vend 180.000 livres numériques pour PDA en 2001, une augmentation de 40% par rapport à l’année précédente. Début 2002, PerfectBound, le service électronique de l’éditeur HarperCollins, propose 10% du catalogue imprimé sous forme numérique. À la même date, Random House décide de publier systématiquement ses nouveaux titres en version imprimée et version numérique.

Conséquence d’un marché en pleine expansion, après avoir été conçus pour un appareil spécifique - soit ordinateur soit PDA –, les principaux logiciels de lecture deviennent polyvalents. Si l’Acrobat Reader est d'abord uniquement disponible sur ordinateur les premières années, Adobe lance un Acrobat Reader pour PDA en 2001, d'abord pour le Palm Pilot (en mai 2001), puis pour le Pocket PC (en décembre 2001). Si, à l’origine, le Mobipocket Reader est destiné à la lecture sur PDA, Mobipocket lance une version pour ordinateur en avril 2002. La même remarque vaut pour le Palm Reader. D'abord destiné au Palm Pilot et au Pocket PC, il est disponible pour ordinateur en juillet 2002.

Chose peu courante à l’époque chez les concepteurs de logiciels, Mobipocket propose d’emblée un logiciel de lecture «universel», utilisable sur tout PDA (en mars 2000) puis sur ordinateur (en avril 2002), et manifeste très tôt un réel souci d’ouverture aux autres formats. Le Mobipocket Publisher permet de créer des livres numériques non seulement au format PRC (Mobipocket Reader) mais aussi au format LIT (Microsoft Reader).

Après avoir fait cavalier seul en promouvant leur propre logiciel de lecture, les constructeurs y mettent aussi du leur. Le Palm Pilot (PDA de Palm) permet de lire des livres numériques aussi bien sur le Palm Reader que sur le Mobipocket Reader. Son principal concurrent, le Pocket PC (PDA de Microsoft) permet de lire des livres sur le Microsoft Reader, le Mobipocket Reader et le Palm Reader.

Vétéran des logiciels de lecture avec dix ans d’existence en 2003, l’Acrobat Reader (devenu l’Adobe Reader en mai 2003) s’adapte régulièrement aux besoins du marché. Par exemple, les utilisateurs d’autres logiciels disent apprécier le reflowing, une fonction leur permettant de reformater automatiquement un livre et sa pagination en fonction de la taille de l’écran, fonction présente dans les formats basés sur l’OeB (Open eBook). Alors que ceci était impossible avec les versions précédentes, les versions 5 et suivantes d’Adobe Acrobat permettent de créer des documents PDF autorisant le reflowing, même si la numérotation des pages du document initial reste figée. Quatre ans plus tard, en 2007, il est possible de créer des PDF compatibles avec l'OeB.

Le nombre de titres s’accroît rapidement au fil des ans. Le catalogue de la librairie numérique Numilog comprend 3.500 titres (livres et revues) en français et en anglais en septembre 2003 et 35.000 titres en décembre 2006. La progression est tout aussi rapide pour la librairie numérique Mobipocket. Si le catalogue comprend 6.000 titres en plusieurs langues en 2003, il comprend 39.000 titres (auxquels il faut ajouter 10.000 livres gratuits) en avril 2007, et il est désormais diffusé par Amazon, qui a racheté la société en avril 2005 dans l’optique du lancement de sa liseuse Kindle deux ans plus tard.

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