Le livre 010101 (1971-2015)

Les aventures de Stephen King sur la toile

Résumé

Maître du suspense de renommée mondiale, Stephen King est le premier auteur de best-sellers à se lancer dans l’aventure numérique. Dans un premier temps, en mars 2000, il décide de distribuer sa nouvelle Riding The Bullet uniquement en version numérique, avec 400.000 exemplaires téléchargés dans les premières vingt-quatre heures. Suite à ce succès à la fois médiatique et financier, l’auteur crée son propre site web en juillet 2000 pour auto-publier son roman épistolaire inédit The Plant en plusieurs épisodes. Les chapitres paraissent à intervalles réguliers et sont téléchargeables dans plusieurs formats (PDF, OeB, HTML, TXT). En décembre 2000, après la parution du sixième chapitre, l'auteur décide d'interrompre cette expérience, le nombre de téléchargements et de paiements ayant régulièrement baissé au fil des chapitres. L’auteur poursuit toutefois ses expériences numériques avec d’autres œuvres dans les années qui suivent, mais cette fois en partenariat avec son éditeur.

En 2000, lorsque le livre numérique commence à se généraliser mais que la partie est loin d’être gagnée, le maître du suspense Stephen King se lance dans l’aventure, malgré les risques commerciaux encourus, en tentant de publier un roman épistolaire indépendamment de son éditeur.

En mars 2000, il commence tout d’abord par distribuer uniquement sur l’internet sa nouvelle Riding the Bullet, assez volumineuse puisqu’elle comprend 66 pages. Du fait de la notoriété de l’auteur et de la couverture médiatique de ce scoop numérique, le succès est immédiat, avec 400.000 exemplaires téléchargés lors des premières vingt-quatre heures dans les librairies en ligne qui la vendent au prix de 2,5 dollars US. En juillet 2000, fort de cette expérience prometteuse, Stephen King décide de se passer des services de Simon & Schuster, son éditeur habituel. Il crée son propre site web pour débuter l’auto-publication en épisodes de The Plant, un roman épistolaire inédit qui raconte l’histoire d’une plante carnivore s’emparant d’une maison d’édition et lui promettant le succès commercial en échange de sacrifices humains. Le premier chapitre est téléchargeable dans plusieurs formats (PDF, OeB, HTML, TXT) pour la modeste somme de 1 dollar US, avec paiement différé ou paiement immédiat sur le site d’Amazon.

Dans une lettre aux lecteurs publiée sur son site à la même date, l’auteur raconte que la création du site, le design et la publicité lui ont coûté la somme de 124.150 dollars US, sans compter sa prestation en tant qu’écrivain et la rémunération de son assistante. Il précise aussi que la publication des chapitres suivants est liée au paiement du premier chapitre par 75% des internautes: «Mes amis, vous avez l’occasion de devenir le pire cauchemar des éditeurs. Comme vous le voyez, c’est simple. Pas de cryptage assommant! Vous voulez imprimer l’histoire et en faire profiter un(e) ami(e)? Allez-y. Une seule condition: tout repose sur la confiance, tout simplement. C’est la seule solution. Je compte sur deux facteurs. Le premier est l’honnêteté. Prenez ce que bon vous semble et payez pour cela, dit le proverbe. Le second est que vous aimerez suffisamment l’histoire pour vouloir en lire davantage. Si vous le souhaitez vraiment, vous devez payer. Rappelez-vous: payez, et l’histoire continue; volez, et l’histoire s’arrête.» Une semaine après la mise en ligne du premier chapitre, on compte 152.132 téléchargements, avec paiement par 76% des lecteurs. Certains paient davantage que le dollar demandé, allant parfois jusqu’à payer 10 ou 20 dollars US pour compenser le manque à gagner de ceux qui ne paieraient pas. La barre des 75% est donc dépassée de peu, au grand soulagement des fans, si bien que le deuxième chapitre suit un mois après.

En août 2000, dans une nouvelle lettre aux lecteurs, Stephen King annonce un nombre de téléchargements légèrement inférieur à celui du premier chapitre. Il en attribue la cause à une publicité moindre et à des problèmes de téléchargement. Si le nombre de téléchargements n’a que légèrement décru, le nombre de paiements est en nette diminution, les internautes ne réglant leur dû qu’une seule fois pour plusieurs téléchargements. L’auteur s’engage toutefois à publier le troisième chapitre comme prévu, à la fin du mois de septembre, et à prendre une décision ensuite sur la poursuite ou non de l’expérience, en fonction du nombre de paiements. L’auteur prévoit onze ou douze chapitres en tout, avec un nombre total de 1,7 million de téléchargements. Le ou les derniers chapitres seraient gratuits.

Plus volumineux - avec 10.000 signes au lieu des 5.000 signes des chapitres précédents - les quatrième et cinquième chapitres passent de 1 dollar à 2 dollars US. Mais le nombre de téléchargements et de paiements ne cesse de décliner, avec 40.000 téléchargements seulement pour le cinquième chapitre alors que le premier chapitre avait été téléchargé 120.000 fois, et paiement pour 46% des téléchargements seulement.

Fin novembre 2000, Stephen King annonce l’interruption de la publication pour une période indéterminée, après la parution du sixième chapitre, téléchargeable gratuitement à la mi-décembre. «The Plant va retourner en hibernation afin que je puisse continuer à travailler. Mes agents insistent sur la nécessité d’observer une pause afin que la traduction et la publication à l’étranger puissent rattraper la publication en anglais.» Mais cette décision semble d’abord liée à l’échec commercial de l’expérience.

Cet arrêt suscite de vives critiques, fidèles au vieil adage qu’il est beaucoup plus facile de critiquer que de faire. Plusieurs journalistes et critiques littéraires affirment même que Stephen King se ridiculise aux yeux du monde entier, preuve qu’ils n’ont visiblement pas suivi l’histoire depuis ses débuts. L’auteur avait d’emblée annoncé la couleur puisqu’il avait lié la poursuite de la publication à un pourcentage de paiements satisfaisant. De plus, ces critiques oublient de reconnaître à l’auteur au moins un mérite, celui d’avoir été le premier à se lancer dans l’aventure, avec les risques qu’elle comportait, et d’avoir contribué au lancement du livre numérique commercial. Entre juillet et décembre 2000, nombreux sont ceux qui suivent les tribulations de The Plant sur la toile, à commencer par les éditeurs, quelque peu inquiets face à un nouveau médium qui pourrait un jour concurrencer le circuit traditionnel.

Qu’est-il advenu ensuite des expériences numériques de Stephen King? L’auteur reste très présent dans ce domaine, mais cette fois par le biais de son éditeur. En mars 2001, son roman Dreamcatcher est le premier roman à être lancé simultanément en version imprimée par Simon & Schuster et en version numérique par Palm Digital Media, la librairie numérique de Palm, pour lecture sur les deux PDA de l’époque, le Palm Pilot et le Pocket PC. En mars 2002, son recueil de nouvelles Everything’s Eventual est lui aussi publié simultanément en deux versions: en version imprimée par Scribner, subdivision de Simon & Schuster, et en version numérique par Palm Digital Media, qui en propose un extrait en téléchargement libre. Et ainsi de suite, preuve que les éditeurs sont toujours utiles, tout au moins pour les auteurs de best-sellers.

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