Le livre 010101 (1971-2015)

Comment voit-on les futurs appareils de lecture en l’an 2000 ?

Résumé

En 2000 et 2001, à l’exception de quelques spécialistes, les professionnels du livre restent assez sceptiques sur le confort de lecture procuré par un appareil de lecture. Si le concept les séduit, les premiers modèles ne suscitent guère d’enthousiasme mais plutôt une curiosité amusée et le souhait de meilleurs appareils de lecture. Suite à une enquête sur le sujet menée par courriel au tournant du millénaire, voici quelques commentaires de la part de Nicolas Ancion, Jean-Pierre Balpe, Olivier Bogros, Émilie Devriendt, Olivier Gainon, Nicolas Pewny, Olivier Pujol et Patrick Rebollar, avant de présenter (dans les deux chapitres suivants) les quelques modèles de PDA, smartphones, tablettes et liseuses qui envahissent ensuite notre planète.

Quel est le sentiment des professionnels du livre sur les appareils de lecture? Jean-Pierre Balpe, directeur du département hypermédias de l’Université Paris 8, écrit en janvier 2001: «J’attends de voir concrètement comment ils fonctionnent et si les éditeurs sont capables de proposer des produits spécifiques à ce support car, si c’est pour reproduire uniquement des livres imprimés, je suis assez sceptique. L’histoire des techniques montre qu’une technique n’est adoptée que si - et seulement si... - elle apporte des avantages concrets et conséquents par rapport aux techniques auxquelles elle prétend se substituer.»

Ce scepticisme est partagé par Olivier Bogros, directeur de la Bibliothèque municipale de Lisieux (Normandie), qui s’exclame en août 2000: «De quoi parle-t-on? Des machines monotâches encombrantes et coûteuses, avec format propriétaire et offre éditoriale limitée? Les Palm, Psion et autres hand et pocket computers permettent déjà de lire ou de créer des livres électroniques [appelés ici livres numériques, ndlr], et en plus servent à autre chose. Ceci dit, la notion de livre électronique m’intéresse en tant que bibliothécaire et lecteur. Va-t-il permettre de s’affranchir d’un modèle économique à bout de souffle (la chaîne éditoriale n’est pas le must en la matière)? Les machines à lire n’ont de mon point de vue de chance d’être viables que si leur utilisateur peut créer ses propres livres électroniques avec (cf. cassettes vidéo).»

Patrick Rebollar, professeur de littérature française et d’informatique dans des universités japonaises, écrit en décembre 2000: «Je trouve enthousiasmant le principe de stockage et d’affichage mais j’ai des craintes quant à la commercialisation des textes sous des formats payants. Les chercheurs pourront-ils y mettre leurs propres corpus et les retravailler? L’outil sera-t-il vraiment souple et léger, ou faut-il attendre le développement de l’encre électronique? Je crois également que l’on prépare un cartable électronique pour les élèves des écoles, ce qui pourrait être bon pour leur dos...»

Olivier Gainon, fondateur des éditions CyLibris, manifeste lui aussi un certain scepticisme à l’égard des modèles actuels. Il explique à la même date: «Je ne crois pas trop à un objet qui a des inconvénients clairs par rapport à un livre papier (prix / fragilité / aspect / confort visuel / etc.), et des avantages qui me semblent minimes (taille des caractères évolutifs / plusieurs livres dans un même appareil / rétro-éclairage de l’écran / etc.). De même, je vois mal le positionnement d’un appareil exclusivement dédié à la lecture, alors que nous avons les ordinateurs portables d’un côté, les téléphones mobiles de l’autre et les assistants personnels (dont les Pocket PC) sur le troisième front. Bref, autant je crois qu’à terme la lecture sur écran sera généralisée, autant je ne suis pas certain que cela se fera par l’intermédiaire de ces objets.»

Nicolas Ancion, écrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique, partage le même sentiment. Il écrit en avril 2001: «Ces appareils ne me paraissent pas porteurs d’avenir dans le grand public tant qu’ils restent monotâches (ou presque). Un médecin ou un avocat pourront adopter ces plateformes pour remplacer une bibliothèque entière, je suis prêt à le croire. Mais pour convaincre le grand public de lire sur un écran, il faut que cet écran soit celui du téléphone mobile, du PDA ou de la télévision. D’autre part, je crois qu’en cherchant à limiter les fournisseurs de contenus pour leurs appareils (plusieurs types d’ebooks ne lisent que les fichiers fournis par la bibliothèque du fabricant), les constructeurs tuent leur machine. L’avenir de ces appareils, comme de tous les autres appareils technologiques, c’est leur ouverture et leur souplesse. S’ils n’ont qu’une fonction et qu’un seul fournisseur, ils n’intéresseront personne. Par contre, si, à l’achat de son téléphone portable, on reçoit une bibliothèque de vingt bouquins gratuits à lire sur le téléphone et la possibilité d’en charger d’autres, alors on risque de convaincre beaucoup de monde.»

Émilie Devriendt, élève professeure à l’École normale supérieure (ENS) de Paris, écrit en juin 2001: «S’il doit s’agir d’un ordinateur portable légèrement "relooké", mais présentant moins de fonctionnalités que ce dernier, je n’en vois pas l’intérêt. Tel qu’il existe, l’ebook est relativement lourd, l’écran peu confortable à mes yeux, et il consomme trop d’énergie pour fonctionner véritablement en autonomie. À cela s’ajoute le prix scandaleusement élevé, à la fois de l’objet même et des contenus téléchargeables; sans parler de l’incompatibilité des formats constructeur, et des "formats" maison d’édition. J’ai pourtant eu l’occasion de voir un concept particulièrement astucieux, vraiment pratique et peu coûteux, qui me semble être pour l’heure le support de lecture électronique le plus intéressant: celui du "baladeur de textes" ou @folio, en cours de développement à l’École nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg [et présenté plus haut dans ce livre, ndlr]. Bien évidemment, les préoccupations de ses concepteurs sont à l’opposé de celles des "gros" concurrents qu’on connaît, en France ou ailleurs: aucune visée éditoriale monopolistique chez eux, puisque c’est le contenu du web (dans l’idéal gratuit) que l’on télécharge.»

Selon Olivier Pujol, PDG de la société Cytale et concepteur de la liseuse Cybook, interviewé en décembre 2000, «le livre électronique, permettant la lecture numérique, ne concurrence pas le papier. C'est un complément de lecture, qui ouvre de nouvelles perspectives pour la diffusion de l'écrit et des œuvres mêlant le mot et d'autres médias (image, son, image animée...). Les projections montrent une stabilité de l'usage du papier pour la lecture, mais une croissance de l'industrie de l'édition, tirée par la lecture numérique, et le livre électronique. De la même façon que la musique numérique a permis aux mélomanes d'accéder plus facilement à la musique, la lecture numérique supprime, pour les jeunes générations commme pour les autres, beaucoup de freins à l'accès à l'écrit.»

Nicolas Pewny, libraire, éditeur et consultant électronique, écrit en février 2003: «Je vois le livre numérique du futur comme un "ouvrage total" réunissant textes, sons, images, vidéo, interactivité: une nouvelle manière de concevoir et d’écrire et de lire, peut-être sur un livre unique, sans cesse renouvelable, qui contiendrait tout ce qu’on a lu, unique et multiple compagnon.»

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