Le livre 010101 (1971-2015)

La licence Creative Commons

Résumé

Conçue en 2001 à l'initiative de Lawrence «Larry» Lessig, juriste, professeur de droit à la Stanford Law School (Californie) et ardent défenseur de la créativité sur l’internet, la licence Creative Commons a pour but de favoriser la diffusion et la réutilisation d'œuvres numériques tout en protégeant le droit d'auteur. L’organisme du même nom publie en décembre 2002 des licences-type, qui sont des contrats flexibles de droit d'auteur pour tout type de création (texte, image, musique, film, site web, etc.). En février 2007, la version 3.0 des licences Creative Commons instaure une licence internationale et la compatibilité avec d'autres licences similaires, dont le copyleft et la GPL (General Public License). En novembre 2013, la version 4.0 des licences Creative Commons propose d’emblée des licences internationales valables dans tous les pays. 882 millions d’œuvres utilisent une licence Creative Commons en 2014.

Dès les débuts de l'internet, certains auteurs saisissent la fantastique opportunité qui leur est offerte de diffuser gratuitement leurs œuvres à l'échelon mondial, tout en essayant de composer avec le droit d’auteur et l’appareil légal pré-internet.

Si le débat relatif au droit d’auteur sur l’internet est vif à la fin des années 1990, Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique, ramène ce débat aux vrais problèmes. Il écrit en mars 2001: «Ce débat me semble assez proche sur le fond de ce qu’il est dans les autres domaines où le droit d’auteur s’exerce, ou devrait s’exercer. Le producteur est en position de force par rapport à l’auteur dans pratiquement tous les cas de figure. Les pirates, voire la simple diffusion libre, ne menacent vraiment directement que les producteurs. Les auteurs ne sont menacés que par ricochet. Il est possible que l’on puisse légiférer sur la question, au moins en France où les corporations se revendiquant de l’exception culturelle sont actives et résistent encore un peu aux Américains, mais le mal est plus profond. En effet, en France comme ailleurs, les auteurs étaient toujours les derniers et les plus mal payés avant l’apparition d’internet, on constate qu’ils continuent d’être les derniers et les plus mal payés depuis. Il me semble nécessaire que l’on règle d’abord la question du respect des droits d’auteur en amont d’internet.»

Alain Bron, consultant en systèmes d'information et écrivain, écrit en novembre 1999: «Je considère aujourd'hui le web comme un domaine public. Cela veut dire que la notion de droit d'auteur sur ce média disparaît de facto: tout le monde peut reproduire tout le monde. La création s'expose donc à la copie immédiate si les copyrights ne sont pas déposés dans les formes usuelles et si les œuvres sont exposées sans procédures de revenus.» Jacques Gauchey, journaliste et spécialiste des technologies de l'information, exprime un avis différent. Il écrit en juillet 1999: «Le droit d'auteur dans son contexte traditionnel n'existe plus. Les auteurs ont besoin de s'adapter à un nouveau paradigme, celui de la liberté totale du flot de l'information. Le contenu original est comme une empreinte digitale: il est incopiable. Il survivra et prospérera donc.»

Selon Xavier Malbreil, auteur multimédia interviewé en mars 2001, «il y a deux choses. Le web ne doit pas être un espace de non-droit, et c'est un principe qui doit s'appliquer à tout, et notamment au droit d'auteur. Toute utilisation commerciale d'une œuvre doit ouvrir droit à rétribution. Mais également, le web est un lieu de partage. Échanger entre amis des passages d'un texte qui vous a plu, comme on peut recopier des passages d'un livre particulièrement apprécié, pour le faire aimer, cela ne peut faire que du bien aux œuvres, et aux auteurs. La littérature souffre surtout de ne pas être diffusée. Tout ce qui peut concourir à la faire sortir de son ghetto sera positif.»

Nombreux sont les auteurs qui souhaitent prendre en compte la vocation première du web, réseau de création et de diffusion à l’échelon mondial. De ce fait, les adeptes de contrats flexibles – copyleft, GPL (General Public License) et Creative Commons – sont de plus en plus nombreux.

L'idée du copyleft est lancée dès 1984 par Richard Stallman, ingénieur en informatique, qui fonde la Free Software Foundation (FSF) dans ce but. Conçu à l’origine pour les logiciels, le copyleft est formalisé par la GPL (General Public License) et étendu par la suite à toute œuvre de création. Il contient la déclaration normale du copyright affirmant le droit d'auteur, mais son originalité est de donner à l’usager le droit de librement redistribuer l’œuvre et de la modifier. L’usager s’engage toutefois à ne revendiquer ni le travail original ni les œuvres dérivées, qui sont elles aussi placées d’emblée sous licence GPL. La GPL se décline en plusieurs variantes. La licence utilisée pour couvrir la documentation accompagnant les logiciels libres - manuels, livres et autres documents écrits - est la GFDL (GNU Free Documentation License – Licence de documentation libre GNU). La GFDL est utilisée ensuite pour toute œuvre documentaire, notamment pour les dictionnaires et les encyclopédies en ligne. C’est par exemple la licence utilisée par Wikipédia pour ses articles avant que la licence Creative Commons n’existe.

Le principe de la licence Creative Commons est développé en 2001 par Lawrence «Larry» Lessig, juriste, professeur de droit à la Stanford Law School (Californie) et ardent défenseur d’un internet créatif sur lequel les œuvres pourraient être non seulement diffusées mais aussi réutilisées lorsque les auteurs donnent leur accord. L'organisme du même nom lance en décembre 2002 des licences-type, qui sont des contrats flexibles de droit d'auteur compatibles avec une diffusion sur l'internet et valables pour tout type de création (texte, photo, film, musique, site web, etc.). Ces licences-type donnent l'autorisation (ou non) de copier, distribuer, communiquer, remixer ou transformer l'œuvre originale. Rédigées par des juristes, elles sont accompagnées d'un résumé court et clair pour être accessible au commun des mortels, c'est-à-dire nous autres, très nombreux, qui ne sommes pas juristes.

Quelle est la marche à suivre pour mettre son œuvre sous licence Creative Commons (CC)? Avant de publier son œuvre sur l’internet, l’auteur choisit la licence adéquate en fonction de ses souhaits (utilisation commerciale ou non, possibilité d'œuvre dérivée ou non, utilisation de la même licence ou non pour les œuvres dérivées, etc.) et appose sur son œuvre un lien vers la licence correspondante sur le site de Creative Commons, ainsi que le logo correspondant (petit ou grand modèle). Six licences sont disponibles: (1) la licence CC BY (la plus large, qui requiert seulement la mention de l'auteur, du titre et de la source en cas de réutilisation de l’œuvre), (2) la licence CC BY-SA (qui requiert la même licence en cas de réutilisation de l’œuvre), (3) la licence CC BY-NC (qui interdit les œuvres commerciales en cas de réutilisation de l’œuvre), (4) la licence CC BY-ND (qui interdit les œuvres dérivées en cas de réutilisation de l’œuvre), (5) la licence CC BY-NC-SA (qui interdit les œuvres commerciales et requiert la même licence en cas de réutilisation de l’œuvre), (6) la licence CC BY-NC-ND (qui interdit les œuvres commerciales et les œuvres dérivées en cas de réutilisation de l’œuvre).

Après une version 1.0 (publiée en décembre 2002) suivie d'une version 2.0 (publiée en mai 2004), la version 3.0 (publiée en février 2007) instaure une licence internationale et la compatibilité avec d'autres licences similaires, dont le copyleft et la GPL. Suite à un sommet global organisé en septembre 2011 auquel s'ajoutent deux années de discussions publiques documentées sur le web, Creative Commons publie en novembre 2013 la version 4.0 de ses six licences. Cette nouvelle version supprime les versions nationales pour favoriser la licence internationale - disponible en vingt-trois langues - et demande à ce que les modalités d'utilisation des œuvres sous Creative Commons soient mieux indiquées sur les œuvres elles-mêmes, avec un lien systématique vers la licence correspondante présente sur le site de Creative Commons, une étape souvent oubliée par les usagers jusque-là. L'équipe de Creative Commons promet aussi que la version 4.0 sera effective pendant plusieurs années, comme l'a été la version 3.0 pendant cinq ans. Forte de son expérience en la matière, elle souhaite également promouvoir une réforme en profondeur du copyright à l'échelon mondial.

Qui utilise une licence Creative Commons? Le premier éditeur à utiliser une licence Creative Commons est O’Reilly Media. Fondé par Tim O’Reilly en 1978, O’Reilly Media est un éditeur réputé de manuels informatiques et de livres sur les technologies. Dans un premier temps, alors que la Creative Commons n’existe pas encore, l'éditeur offre une formule de «copyright ouvert» pour les auteurs qui le souhaitent ou pour des projets collectifs, permettant d’emblée à ses auteurs de diffuser simultanément une version numérique gratuite de leurs livres. En 2003, il privilégie le Creative Commons Founders’ Copyright, à savoir un copyright ramené à quatorze ou vingt-huit ans après la mort de l’auteur. Un an plus tard, en 2004, Tim O'Reilly lance le terme «web 2.0» pour désigner un web coopératif, avec le succès planétaire que l'on sait. Les livres de l’éditeur sont tous sous licence Creative Commons. L’éditeur participe aussi lui-même à nombre de projets collaboratifs. Il est par exemple l’un des membres fondateurs de la bibliothèque numérique publique globale lancée par l’Internet Archive et il met également tous ses livres à la disposition de Bookshare, une bibliothèque numérique destinée aux personnes aveugles et malvoyantes, pour conversion de ces livres aux formats braille et audio.

Une licence Creative Commons est utilisée aussi par Wikipédia, encyclopédie collaborative gratuite lancée en janvier 2001 par Jimmy Wales et Larry Sanger. Après avoir utilisé une licence GFDL, Wikipédia passe ensuite à une licence CC BY-SA pour tous ses articles, rédigés par des milliers de contributeurs dans des dizaines de langues différentes, auxquels s'ajoutent tous ceux qui fournissent des illustrations. Les articles et les illustrations (images, photos, dessins, cartes, graphiques, etc.) des millions de pages de Wikipédia et de ses sites connexes peuvent être réutilisés par tous dans la mesure où la même licence est utilisée.

La Public Library of Science (PLOS) utilise elle aussi une licence Creative Commons pour les articles de ses sept revues scientifiques et médicales de haut niveau lancées entre 2003 et 2007 (PLOS Biology, PLOS Medicine, PLOS Genetics, PLOS Computational Biology, PLOS Pathogens, PLOS Neglected Tropical Diseases (maladies tropicales négligées) et PLOS ONE). Gratuits, ces différents titres ne tardent pas à rivaliser avec les meilleures revues scientifiques payantes (et hors de prix), avec l'avantage énorme d'être accessibles aux pauvres comme aux riches où qu'ils soient sur cette planète. De plus, PLOS utilise une licence CC BY, c'est à dire la plus large qui soit. Tous les articles publiés dans ces revues peuvent être librement diffusés et réutilisés ailleurs, y compris pour des traductions, la seule contrainte étant la mention des auteurs, du titre et de la source.

Suivent Al Jazeera avec ses vidéos du conflit israélo-palestinien sous licence Creative Commons disponibles pour les chaînes partenaires comme pour les chaînes concurrentes, Flickr avec ses très nombreuses photos sous licence Creative Commons, l'OpenCourseWare du MIT (Massachusetts Institute of Technology) avec tous ses cours gratuits sous licence Creative Commons, ou encore le groupe Nine Inch Nails, l'un des premiers groupes musicaux à distribuer sa musique sous licence Creative Commons, avec des ventes record et des salles de concert pleines. Suivent aussi des milliers d'auteurs, illustrateurs, musiciens, enseignants, chercheurs et autres créateurs partageant leurs travaux sur la toile, et pour certains dans un esprit militant pour contribuer à un monde meilleur.

Une licence Creative Commons est utilisée pour un million d'œuvres en 2003, 4,7 millions d'œuvres en 2004, 20 millions d'œuvres en 2005, 50 millions d'œuvres en 2006, 90 millions d'œuvres en 2007, 130 millions d'œuvres en 2008, 400 millions d'œuvres en 2010 et 882 millions d’œuvres en 2014.

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