Le livre 010101 (1971-2015)

De Google Print à Google Books

Résumé

Google lance Google Print en mai 2005, en partenariat avec des éditeurs et des bibliothèques. Trois mois plus tard, Google Print est suspendu pour une durée indéterminée suite au conflit opposant Google à l’Authors Guild et à l’Association of American Publishers (AAP), qui lui reprochent de numériser les livres sans l'accord préalable des ayants droit. Le programme reprend en août 2006 sous le nom de Google Books. La numérisation des fonds de grandes bibliothèques se poursuit, tout comme les partenariats avec les éditeurs qui le souhaitent. Le conflit avec l’Authors Guild et l’AAP se poursuit lui aussi, puisque Google continue de numériser des livres sous droits sans l'autorisation préalable des ayants droit, en invoquant le droit de citation pour présenter des extraits sur le web. En octobre 2008, après trois ans de conflit, Google tente de mettre fin aux actions légales menées par l’Authors Guild et l’AAP à son encontre, avec une décision de justice négative en mars 2011 puis une décision de justice positive en octobre 2015.

Google décide de mettre son expertise – et sa force de frappe - au service du livre et lance Google Print en mai 2005 avant de le cesser en août de la même année puis de le rebaptiser Google Books en août 2006.

Le lancement de Google Print en mai 2005 est précédé de deux étapes. En octobre 2004, Google met sur pied la première partie de son programme Google Print, établi en partenariat avec les éditeurs pour pouvoir consulter à l’écran des extraits de livres puis commander les livres auprès d’une librairie en ligne. En décembre 2004, Google met sur pied la deuxième partie de son programme Google Print, cette fois à destination des bibliothèques. Il s’agit d’un projet de bibliothèque consistant à numériser les livres appartenant à plusieurs grandes bibliothèques partenaires, à commencer par la bibliothèque de l’Université du Michigan (dans sa totalité, à savoir 7 millions d’ouvrages), les bibliothèques des Universités de Harvard, de Stanford et d’Oxford, et la New York Public Library. Le coût estimé au départ se situe entre 150 et 200 millions de dollars US, avec la numérisation de 10 millions de livres sur six ans et un chantier d'une durée totale de dix ans.

En août 2005, soit trois mois après son lancement, Google Print est suspendu pour une durée indéterminée suite à un conflit grandissant avec l’Authors Guild (association américaine représentant les auteurs) et l’Association of American Publishers (AAP – Association des éditeurs américains), celles-ci reprochant à Google de numériser des livres sans l'accord préalable des ayants droit.

Le programme reprend en août 2006 sous le nom de Google Books (Google Livres), qui permet de rechercher les livres par date, par titre ou par éditeur. La numérisation des fonds de grandes bibliothèques se poursuit, tout comme des partenariats avec les éditeurs qui le souhaitent. Les livres libres de droit sont consultables à l’écran en texte intégral. Leur contenu est copiable et l’impression est possible page à page. Ces livres sont téléchargeables sous la forme de fichiers PDF imprimables dans leur entier. Les livres sous droits, toujours numérisés sans l'autorisation préalable des ayants droit, sont disponibles partiellement, avec table des matières, introduction, conclusion et extraits, Google invoquant le droit de citation pour présenter ces extraits librement disponibles sur le web. Les liens publicitaires associés aux pages de livres sont situés en haut et à droite de l’écran, comme ailleurs dans Google. Le conflit avec les associations d'auteurs et d'éditeurs se poursuit lui aussi, l’Authors Guild et l’AAP invoquant le non respect de la législation relative au copyright pour attaquer Google en justice.

Alexandre Laumonier, directeur des éditions Kargo, participe au programme de Google Livres en France. Dans La non affaire Google Livres - Suite, un texte publié sur le site de l’éditeur en juin 2006, il propose une analyse des véritables enjeux: «Sur le fond, au-delà des discours et des rebonds, au-delà des problèmes juridiques à régler, au-delà des intérêts économiques et/ou corporatistes que chacun(e) essaie de défendre, au-delà des technologies encore balbutiantes, au-delà d’un antiaméricanisme primaire qui se révèle ici et là, au fond les véritables interrogations que posent les transformations technologiques, notamment lorsqu’elles impliquent certaines formes de savoir, sont celles du partage de l’information, du savoir en tant que bien commun, des qualités et des défauts de l’écriture numérique, qui permet désormais une maniabilité du savoir comme jamais cela n’avait été possible auparavant. Rarement trouve-t-on, dans les quelques discussions ici et là sur Google Livres, les mots "bien commun", "partage du savoir", "démocratisation de l’écriture"… Car c’est bien de cela dont il s’agit, au moment où l’on constate que l’objet-livre, qui symboliquement et dans les faits, était jusqu’à maintenant le seul garant d’une vérité, ne l’est plus (seulement).»

Michel Valensi, directeur des éditions de l’Éclat, participe lui aussi au programme de Google Livres depuis août 2005. Dans Faut-il une grande cuiller pour signer avec Google? (version 2.0), un texte publié sur le site de l’éditeur en décembre 2006, il explique: «Le projet Google Livres est le premier projet de grande envergure (il en existait d’autres auparavant, parmi lesquels le lyber lui-même [un concept créé par Michel Valensi, ndlr]; il en existera d’autres dans les mois à venir) qui permet une entrée en force du Livre dans l’internet. Après la multiplication des sites de toutes sortes sur les sujets les plus divers et la prolifération épidémique des blogs (dont le terme même, onomatopéïque, dit toute la profondeur: blog!) on en revient au Livre comme source première d’information. On permet l’accès à une partie des contenus, on permet une recherche thématique à l’intérieur du livre, on renvoie à d’autres livres, à l’éditeur, vers des librairies, etc., mais jamais on ne se substitue au livre, dont la forme reste omni-présente à travers l’image même des pages consultées. Contrairement aux sites, on ne peut ni télécharger, ni imprimer. Paradoxalement, Google Livres indique ainsi les limites d’une information infinie (qui est un leurre) surfant de blogs en sites, et propose un retour (qui est une avancée) vers un médium ancien, encore aujourd’hui sans équivalent.»

Fin 2006, d'après le buzz médiatique, Google scannerait 3.000 livres par jour, ce qui représenterait un million de livres par an. Le coût estimé serait de 30 dollars US par livre. Google Books comprendrait déjà 3 millions de livres. Tous chiffres à prendre avec précaution, la société ne communiquant pas de statistiques à ce sujet.

À l’exception de la New York Public Library, les premières collections numérisées appartiennent toutes à des bibliothèques universitaires (Harvard, Stanford, Michigan, Oxford, Californie, Virginie, Wisconsin-Madison, Complutense de Madrid), auxquelles s'ajoutent début 2007 les bibliothèques des Universités de Princeton et du Texas (Austin), la Biblioteca de Catalunya (Catalogne, Espagne) et la Bayerische Staatbibliothek (Bavière, Allemagne). En mai 2007, Google annonce la participation de la première bibliothèque francophone, la Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) de Lausanne (Suisse), avec la numérisation de 100.000 titres en français, en allemand et en italien datant des 17e-19e siècles. Suit un partenariat avec la Bibliothèque municipale de Lyon (France) signé en juillet 2008 pour numériser 500.000 livres.

En octobre 2008, après trois ans de conflit, Google tente de mettre fin aux poursuites à son encontre en proposant un accord basé sur le partage des revenus générés par Google Books et un large accès aux ouvrages épuisés, tout comme le paiement de 125 millions de dollars US à l'Authors Guild et à l'Association of American Publishers (AAP) pour clôturer définitivement ce conflit. Si cet accord était accepté (mais il sera refusé trois ans plus tard), Google s’engage à proposer de plus larges extraits de livres, jusqu'à 20% d'un même ouvrage, avec un lien commercial pour acheter une copie - numérique ou non - de l'oeuvre. Les ayants droit auraient le droit de retirer leurs livres des collections. Par ailleurs, les bibliothèques universitaires et publiques des États-Unis pourraient accéder à un portail gratuit géré par Google et donnant accès aux textes de millions de livres épuisés. Un abonnement permettrait aux universités et aux écoles de consulter les collections des bibliothèques les plus renommées.

En novembre 2008, Google Books comprend 7 millions d'ouvrages numérisés, en partenariat avec 24 bibliothèques et 2.000 éditeurs. Les 24 bibliothèques partenaires se situent principalement aux États-Unis (16 bibliothèques), auxquelles il faut ajouter deux bibliothèques partenaires en Espagne et une bibliothèque partenaire dans d’autres pays (Belgique, France, Japon, Royaume-Uni et Suisse). En février 2009, Google Books lance un portail spécifique pour smartphone, avec un catalogue de 1,5 million de livres du domaine public, auxquels s'ajoutent 500.000 autres titres téléchargeables hors des États-Unis, du fait d'une législation du copyright moins restrictive dans certains pays.

Mais, de l’avis général, Google ne respecte guère le droit d’auteur et les règles déontologiques de base, puisque la société numérise à ses frais les collections de livres de grandes bibliothèques – y compris les livres protégés par un copyright – pour les proposer ensuite en accès payant. L’accord prévu entre Google d’une part et l’Association of American Publishers (AAP) d’autre part est rejeté en mars 2011 par le juge fédéral Denny Chin, pour cause de monopole incompatible avec la législation américaine. En octobre 2015, après dix ans d’existence, Google Books est enfin considéré comme «légal» par décision de justice, avec un modèle économique considéré comme novateur. Les extraits de livres protégés par un copyright sont considérés comme relevant du «fair use» (un droit de citation étendu propre à la législation américaine), ce que souhaitait Google dès les débuts du projet. Selon le New York Times, Google Books comprendrait désormais 25 millions de titres.

En parallèle, d’autres projets «ouverts» voient le jour, comme la vaste bibliothèque numérique publique mondiale lancée en 2006 par l’Internet Archive ou la Digital Public Library of America (DPLA – Bibliothèque publique numérique de l’Amérique) lancée en 2013, toutes deux respectueuses du droit d’auteur puisqu’elles ne diffusent pas les documents sous droits, à moins que les ayants droit aient dûment donné leur accord.

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