Le livre 010101 (1971-2015)

La convergence multimédia: contrats précaires et télétravail

La précarisation des métiers

Professeur associé en sciences sociales à l’Université d’Utrecht (Pays-Bas), Peter Leisink explique lors de ce colloque que la rédaction des textes et la correction des épreuves sont maintenant faites à domicile, le plus souvent par des travailleurs ayant pris le statut d’indépendants à la suite de licenciements et de délocalisations ou fusions d’entreprises. «Or cette forme d’emploi tient plus du travail précaire que du travail indépendant, car ces personnes n’ont que peu d’autonomie et sont généralement tributaires d’une seule maison d’édition.»

Etienne Reichel, directeur suppléant de l’association suisse Viscom (Visual Communication), explique que le transfert de données via l'internet et la suppression de certaines phases de production réduisent le nombre d'emplois. Le travail de vingt typographes est assuré par six travailleurs qualifiés, alors que les entreprises de communication visuelle étaient auparavant génératrices d'emplois. Par contre, l'informatique permet à certains professionnels de s'installer à leur compte. C'est le cas pour 30% des salariés ayant perdu leur emploi suite à la restructuration de leur entreprise.

Selon Michel Muller, secrétaire général de la FILPAC (Fédération des industries du livre, du papier et de la communication), les industries graphiques françaises ont perdu 20.000 emplois en dix ans, entre 1987 et 1996, avec des effectifs qui sont passés de 110.000 à 90.000 salariés. Les entreprises doivent mettre sur pied des plans sociaux très coûteux pour favoriser le reclassement des personnes licenciées, en créant des emplois souvent artificiels, alors qu’il aurait mieux fallu financer des études fiables sur la manière d’équilibrer créations et suppressions d’emplois lorsqu’il était encore temps.

Directeur du géant des télécommunications AT&T aux États-Unis, Walter Durling insiste sur le fait que les nouvelles technologies n’apporteront pas de changements fondamentaux à la situation des salariés au sein de leur entreprise. L’invention du film n’a pas tué le théâtre et celle de la télévision n’a pas fait disparaître le cinéma. Les entreprises devraient créer des emplois liés aux nouvelles technologies et les proposer à ceux qui sont obligés de quitter d’autres postes devenus obsolètes. Des arguments bien théoriques alors qu’il s’agit plutôt d’un problème de pourcentage. Combien de créations de postes pour combien de licenciements?

À part quelques cas particuliers mis en avant par les organisations d’employeurs, la convergence multimédia entraîne des suppressions massives d’emplois. Partout dans le monde, des postes à faible qualification technique sont remplacés par des postes demandant des qualifications techniques élevées. Les travailleurs peu qualifiés sont licenciés. D’autres suivent une formation professionnelle complémentaire, parfois auto-financée sur leur temps libre, et cette formation professionnelle ne garantit pas pour autant le réemploi.

De leur côté, les syndicats préconisent la création d’emplois par l’investissement, l’innovation, la formation aux nouvelles technologies, la reconversion des travailleurs dont les emplois sont supprimés, des conventions collectives équitables, la défense du droit d’auteur, une meilleure protection des travailleurs dans le secteur artistique, et enfin la défense des télétravailleurs en tant que travailleurs à part entière.

Malgré tous les efforts des syndicats, la situation deviendra-elle aussi dramatique que celle décrite dans une note des actes du colloque, indiquant que «certains craignent un futur dans lequel les individus seront forcés de lutter pour survivre dans une jungle électronique. Les mécanismes de survie établis au cours des dernières décennies – tels que relations de travail relativement stables, conventions collectives, représentation des salariés, formation professionnelle procurée par les employeurs et régimes de sécurité sociale cofinancés par employeurs et employés - risquent d’être mis à rude épreuve dans un monde du travail qui franchit les frontières à la vitesse de la lumière.»

À ceci s’ajoutent la sous-traitance et la délocalisation. Pour la numérisation de catalogues par exemple, certaines bibliothèques font appel à des sociétés employant un personnel temporaire avec de bas salaires et la rapidité pour seul critère, lorsque les fichiers ne sont pas tout simplement envoyés en Asie et les fiches saisies par des opérateurs ne connaissant pas la langue et faisant l’impasse sur les accents. Si certains catalogues sont ensuite passés au crible et vérifiés sinon corrigés, d’autres sont présents tels quels sur l’internet avec leurs multiples coquilles.

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