Le livre 010101 (1971-2015)

Le web booste l’internet

Un espace de liberté

Dans Short History of the Internet (Courte histoire de l’internet), un essai disponible en 1997 sur le site du W3C (et déjà cité plus haut), Bruce Sterling s’intéresse aux raisons pour lesquelles on se connecte à l’internet. Une raison majeure lui semble être la liberté. L’internet est un exemple d’«anarchie réelle, moderne et fonctionnelle». Il n’y a pas de société régissant l’internet. Il n’y a pas non plus de censeurs officiels, de patrons, de comités de direction ou d’actionnaires. Toute personne peut parler d’égale à égale avec une autre, du moment qu’elle utilise le protocole TCP/IP, un protocole qui n’est ni social ni politique mais strictement technique. Malgré tous les efforts des partis politiques et des multinationales, il est difficile à quelque organisme que ce soit de mettre la main sur l’internet. C’est ce qui fait sa force.

L’internet vient également au secours de la liberté d’expression. Il permet de lire en ligne des titres difficiles ou impossibles à trouver en kiosque. Il permet aussi aux journaux interdits d’être publiés malgré tout. C’est le cas de l’hebdomadaire algérien La Nation, contraint de cesser ses activités en décembre 1996 après avoir dénoncé les violations des droits humains en Algérie. Un an plus tard, un numéro spécial de La Nation est disponible sur le site web de Reporters sans frontières (RSF). «En mettant La Nation en ligne, notre but était de dire: cela n’a plus de sens de censurer les journaux en Algérie, parce que grâce à internet les gens peuvent récupérer les articles, les imprimer, et les distribuer autour d’eux», indique Malti Djallan, à l’origine de cette initiative.

Le journal électronique Nouvelles du bled est lancé en décembre 1997 à Paris dans la même optique par Mohamed Zaoui, journaliste algérien en exil, avec l’aide de Christian Debraisne, infographiste français, pour la mise en page. L’équipe du journal regroupe une douzaine de personnes qui se retrouvent le jeudi soir dans un café du 11e arrondissement de Paris pour élaborer une revue de presse à partir des journaux d’Alger. Dans le quotidien Le Monde du 23 mars 1998, Mohamed Zaoui explique: «La rédaction d’El Watan [quotidien algérien, ndlr], par exemple, nous envoie des papiers qu’elle ne peut pas publier là-bas. C’est une façon de déjouer la censure. J’avais envie d’être utile et j’ai pensé que mon rôle en tant que journaliste était de saisir l’opportunité d’internet pour faire entendre une autre voix entre le gouvernement algérien et les intégristes.» Christian Debraisne ajoute: «Avec internet, nous avons trouvé un espace de libre expression et, en prime, pas de problème d’imprimerie ni de distribution. Je récupère tous les papiers et je les mets en ligne la nuit à partir de chez moi.» Nouvelles du bled paraît jusqu’en octobre 1998. Quant à El Watan, il lance son site web en octobre 1997. Redha Belkhat, son rédacteur en chef, explique: «Pour la diaspora algérienne, trouver dans un kiosque à Londres, New York ou Ottawa un numéro d’El Watan daté de moins d’une semaine relève de l’exploit. Maintenant, le journal tombe ici à 6 heures du matin, et à midi il est sur internet.»

L’internet est aussi une passerelle entre ceux qui ont leur place dans la société et ceux qui en sont exclus. Un encart de la revue Psychologies de mai 1998 relate: «Aux États-Unis, un mouvement voit le jour: la confiance en soi... par internet! Des milliers de sans-abri ont recours au réseau pour retrouver une place dans la société. Non seulement le net fournit une adresse à qui n’en a pas et ôte les inhibitions de qui redoute d’être jugé sur son apparence, mais c’est aussi une source d’informations et de contacts incomparable. Bibliothèques et associations d’aide au quart-monde l’ont bien compris: des salles informatiques, avec accès à internet, animées par des formateurs, sont ouvertes un peu partout et les mairies en publient la liste. A travers l’e-mail (courrier électronique), les homeless (sans-abri) obtiennent les adresses des lieux d’accueil, des banques alimentaires et des centres de soins gratuits, ainsi qu’une pléthore de sites pour trouver un emploi. À 50 ans, Matthew B. a passé le quart de sa vie dans la rue et survit, depuis trois ans, d’une maigre subvention. Il hante la bibliothèque de San Francisco, les yeux rivés sur l’écran des ordinateurs. "C’est la première fois, dit-il, que j’ai le sentiment d’appartenir à une communauté. Il est moins intimidant d’être sur internet que de rencontrer les gens face à face."»

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