Le livre 010101 (1971-2015)

Le livre numérique et ses canaux de diffusion

Les débuts du livre numérique commercial

Publiés par les éditions 00h00 dès leur création en mai 1998, les tout premiers livres numériques commerciaux sont des classiques de la littérature française - Le Tour du monde en quatre-vingt jours de Jules Verne, Colomba de Prosper Mérimée, Poil de carotte de Jules Renard, etc. - ainsi que deux inédits: Sur le bout de la langue de Rouja Lazarova et La Coupe est pleine de Pierre Marmiesse. 00h00 passe aussi des accords avec des éditeurs pour publier en version numérique certains de leurs titres imprimés.

En mars 2000, le maître du thriller Stephen King décide de distribuer sa nouvelle Riding The Bullet uniquement par voie électronique, avec vente dans plusieurs librairies en ligne anglophones. Suite au succès de l’expérience, l’auteur crée en juillet 2000 un site web spécifique pour débuter la publication en épisodes de The Plant, un roman épistolaire inédit, en se passant de son éditeur. Cette deuxième expérience s’avère beaucoup moins concluante que la première puisque The Plant retourne en hibernation en décembre 2000, le nombre de téléchargements et de paiements ne cessant de baisser au fil des chapitres. Mais le

suivi médiatique de cette expérience pendant les six mois qu’elle aura duré contribue largement à faire connaître le livre numérique auprès des professionnels et du grand public. D’autres auteurs de best-sellers prennent ensuite le relais, avec plus ou moins de bonheur, mais cette fois en partenariat avec leurs éditeurs, par exemple Frederick Forsyth au Royaume-Uni, Arturo Pérez-Reverte en Espagne et Paolo Coelho au Brésil. (Pour un récit complet, voir plus haut les deux chapitres consacrés à ces aventures numériques.)

Durant l’été 2000, Simon & Schuster, l’éditeur habituel de Stephen King, profite de la vague médiatique entourant l’auto-publication d’un de ses auteurs-phare pour se lancer dans l’aventure en créant sa branche électronique SimonSays.com. L’éditeur ne prend pas de risques excessifs puisque ses premiers livres numériques sont certains titres de Star Trek, la série de science-fiction la plus vendue au monde avec six titres vendus par minute. Le premier titre numérique, The Belly of the Beast de Dean Wesley Smith, est disponible en août 2000 pour 5 dollars US. D’autres éditeurs emboîtent le pas à Simon & Schuster et débutent eux aussi la vente de certains titres en version numérique, par exemple Random House et, quelques mois plus tard, St. Martin’s Press, puis HarperCollins via son service électronique PerfectBound.

En octobre 2000, les Presses universitaires de France (PUF) annoncent la parution de quatre titres simultanément en version numérique et en version imprimée. Ces quatre titres sont La presse sur internet de Charles de Laubier, La science et son information à l’heure d’internet de Gilbert Varet, Internet et nos fondamentaux par un collectif d’auteurs, et enfin HyperNietzsche publié sous la direction de Paolo d’Iorio. Chose peu courante chez les éditeurs français, le texte intégral d’HyperNietzsche est en accès libre sur le site des PUF pendant deux ans.

En novembre 2000, pour convertir ses auteurs à ce nouveau format, Random House annonce que ceux-ci recevront un pourcentage de 50% sur le prix de vente de leurs livres numériques, au lieu du pourcentage de 15% habituel sur le prix de vente de leurs livres imprimés. Si ce fort pourcentage était déjà proposé par certains éditeurs électroniques comme le londonien Online Originals (qui avait notamment tenté une expérience numérique avec Frederick Forsyth), c’est la première fois qu’une maison d’édition traditionnelle de réputation internationale fait un tel effort financier.

En janvier 2001, Barnes & Noble, autre géant du livre, se lance dans l’aventure en créant Barnes & Noble Digital. Barnes & Noble est non seulement une chaîne de librairies traditionnelles doublée d’une librairie en ligne, en partenariat avec Bertelsmann pour cette dernière, mais aussi un éditeur de livres classiques et illustrés. Pour attirer les auteurs, l’éditeur leur propose de leur verser un pourcentage de 35% sur le prix de vente de leurs livres numériques. Un pourcentage moindre que celui offert par Random House, mais nettement supérieur à celui versé par les autres éditeurs en ligne qui, après avoir proposé un pourcentage de 15% à l’origine, proposent un pourcentage d’environ 25% début 2001. L’opération de Barnes & Noble Digital vise bien sûr à convaincre les auteurs de best-sellers de l’intérêt d’une version numérique à côté de la version imprimée habituelle, ce qui permettrait d’entraîner tous les autres auteurs – connus et moins connus - dans leur sillage.

Anne-Bénédicte Joly, romancière auto-éditrice, écrit en novembre 2000: «Le livre électronique est avant tout un moyen pratique d’atteindre différemment une certaine catégorie de lecteurs composée pour partie de curieux aventuriers des techniques modernes et pour partie de victimes du mode résolument technologique. (...) Je suis assez dubitative sur le "plaisir" que l’on peut retirer d’une lecture sur un écran d’un roman de Proust. Découvrir la vie des personnages à coups de souris à molette ou de descente d’ascenseur ne me tente guère. Ce support, s’il possède à l’évidence comme avantage la disponibilité de toute œuvre à tout moment, possède néanmoins des inconvénients encore trop importants. Ceci étant, sans nous cantonner à une position durablement ancrée dans un mode passéiste, laissons à ce support le temps nécessaire pour acquérir ses lettres de noblesse.»

D’après Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d’inédits artistiques et littéraires, interviewé en octobre 2000, «l’ebook est sans aucun doute un support extraordinaire. Il aura son rôle à jouer dans la diffusion des œuvres ou des journaux électroniques, mais il ne remplacera jamais le véritable bouquin papier de papa. Il le complétera. (...) L’achat d’un livre n’est pas un acte purement intellectuel, c’est aussi un acte de sensualité que ne comblera jamais un ebook. Naturellement, l’édition classique devra en tenir compte sur le plan marketing pour se différencier davantage, mais je crois que l’utilisation des deux types de supports sera bien distincte. Le téléphone n’a pas tué le courrier, la radio n’a pas tué la presse, la télévision n’a pas tué la radio ni le cinéma... Il y a de la place pour tout, simplement, ça oblige à chaque fois à une adaptation et à un regain de créativité. Et c’est tant mieux!»

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