Le livre 010101 (1971-2015)

Conclusion

De la nécessité d’exercer notre jugement

Un Manifeste pour un technoréalisme est publié en ligne dès mars 1998 à la suite du Technorealism Overview publié aux États-Unis. Le manifeste expose les huit points suivants: (1) la technologie n'est pas neutre, (2) l’internet est un média révolutionnaire, pas une utopie, (3) les services publics ont un rôle important à jouer dans le cyberespace, (4) avoir accès à l’information n'est pas un gage de connaissance, (5) brancher les écoles n'assurera pas une éducation de meilleure qualité, (6) la véracité des informations présentes sur l’internet doit être vérifiée, (7) les ondes (électro-magnétiques et radio, ndlr) sont du domaine public et c'est donc le public qui devrait en bénéficier, (8) une bonne compréhension de la technologie devrait constituer un des fondements de la citoyenneté. Et plus important encore, l’informatique n’est jamais qu’un moyen: «Peu importe la puissance de nos ordinateurs, nous ne devrions jamais nous en servir pour pallier la lucidité, le raisonnement et le jugement.»

Mais laissons le mot de la fin à Matthieu Joly, ingénieur support chez SFR et adepte du logiciel libre, qui dessine un panorama du livre numérique - au présent et au futur – en mai 2015: «Les livres. Le pire, comme le meilleur est à attendre. Ce qui n'était qu'une question de support, est maintenant devenu un média. Qui est et reste un média. Notre époque n'a qu'un but majoritairement: pousser les gens à re-consommer ce qui l'était déjà, dans de nouveau formats, ad nauseam. C’est une réalité pour tout ce qui concerne l'art dans toutes ses formes, mais particulièrement pour la littérature. Le lecteur? Les livres? Tout ceci regroupe une seule et même activité (lire) mais ne correspond pas nécessairement - ou pas du tout - à une même finalité. La littérature est censée être la lecture "haut de gamme", celle qui élève, donne le moment de plaisir le plus intense au lecteur. Nous sommes prisonniers de l'univers de l'écrivain. Nous le subissons avec délectation.

Tout n'est pas littérature. Et le champ s'élargit donc, vers la connaissance, l'information, le champ de l'intellect. La recherche. Les trésors partagés de l'intelligence sont là, prêts à être partagés? Le lecteur, c'est lui, au final qui détermine son outil. Support papier, sensuel. Support numérique sur écran informatique, froid. Liseuse, tiède ("encre" électronique). J'ai tenté de lire de la documentation technique sur une liseuse et je dois avouer que cela ne m'a pas convaincu... tout un paradoxe. Alors qu'au contraire, la littérature "classique" m'a beaucoup plus plu sous cette forme. Plus "agile" dans son utilisation. Même si je reste un amateur du papier, j'aime lire sur tous les supports, et cela me permet de suivre en parallèle cinq ou six livres, que j'emmène - ou pas - avec moi.

Maintenant, deux situations à venir sont à imaginer. Premier constat: le livre numérique n'est qu'un amas de données, qui peut être transféré sur ce que vous voulez. L'ordinateur existe sous toutes ses formes: "smartphone", ordinateur "classique", tablette, etc… Encore une fois, il n'est qu'un outil, y compris dans ses futures déclinaisons (le comble de l'ironie serait d'arriver à recréer un livre numérique... en 3D!). Deuxième constat: le support en tant que tel n’est au final guère intéressant, juste un "argument" de vente, le plus important étant le contenu. Sera-t-il toujours et encore notre "propriété"? Je fais en cela référence à la "bourde" d'Amazon qui avait, ironie de l'histoire, effacé des liseuses de sa marque 1984 de G. Orwell pour des raisons de "droits".

Et là, nous abordons un sujet sensible: le "droit" d'auteur ne veut pas dire grand-chose. Un support papier a une finalité avec une propriété attachée (on prête un livre, on le donne, on le vend). Mon opinion sur un fichier informatisé et partagé n'est que le reflet instantané de ma vision des choses. Pas un droit. Un partage. Qui peut être reproduit. La copie, c'est du "+1", pas un document que je ne reverrai jamais.

C'est comme cela que j'aime à imaginer l'avenir, que les livres papier perdurent encore très longtemps, pour le plaisir de nos sens. Et que les supports numériques amènent de nouveaux lecteurs, qui seraient aussi respectueux des écrivains, en permettant, comme dans le logiciel libre, que chacun verse son écot, et ce de manière volontaire, prenant conscience que le temps passé par un individu à partager de lui-même, que ce soit à travers son imaginaire, ses connaissances ou autres, soit reconnu par tout un chacun comme un travail méritant salaire. Mais aussi que, l'œuvre, quelle qu'elle soit, ayant été accouchée par son auteur, soit "livrée" à ses lecteurs.

Cela permettra aussi de remettre les pendules à l'heure avec toute la filière de l'édition qui - elle - se nourrit de la substantifique moelle de l'écrivain. Le meilleur des mondes étant une utopie dangereuse pour les intermédiaires. Pas pour les créateurs, pas pour les poètes, pas pour les techniciens de tous poils qui livrent avec passion très souvent leur tripes et neurones. Encore faut-il que ceux-ci ne se laissent pas piéger par les sirènes de cette filière qui - comme dans le monde de la musique - leur font croire que leurs lecteurs sont leurs ennemis. Maintenant, la "dure réalité" actuelle nous confronte plutôt avec un statu quo perdurant le plus longtemps possible afin que les intermédiaires aient le temps de reformater le langage pour que tout un chacun considère le partage comme du vol. Ce qui est une hérésie historique. La finalité de ces individus n'étant que pécuniaire, tout ceci s'apparente donc plus à du marketing qu'à une quelconque "œuvre de l'esprit". La technologie n'est qu'un moyen, censé améliorer, simplifier l'existant (quoique les DRM nous prouvent tout le contraire). Dans tous les cas d'espèce, tout ceci est voué au néant, s'il ne reste pas des individus pour écrire. Et d'autres, pour lire.»

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