Le livre 010101 (1971-2015)

Un durcissement du Copyright

Résumé

Après avoir signé en décembre 1996 – comme de nombreux pays - le Traité sur le copyright des éditions numériques de l’OPMI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), le Congrès américain entérine en octobre 1998 le Digital Millenium Copyright Act (DMCA), portant le copyright à 70 ans après la mort de l’auteur. Après un premier amendement en 1976, ce nouvel amendement de la loi sur le copyright réduit encore un peu plus le domaine public, au grand dam de tous ceux qui sont en train de créer des bibliothèques numériques. Le copyright est passé d'une durée de 30 ans en moyenne en 1909 à une durée de 75 ans en moyenne en 1998. Seul un livre publié avant 1923 peut désormais être considéré avec certitude comme du domaine public. Un durcissement similaire affecte l’Union Européenne avec la Directive EUCD (European Union Copyright Directive) entérinée en mai 2001 et relayée ensuite dans les législations nationales.

Chose inquiétante à l’heure d’une société dite de l’information, le domaine public se réduit comme peau de chagrin. Le temps est loin où 50% des œuvres appartenaient au domaine public et pouvaient donc être librement utilisées par tous. Nettement plus contraignant que l'amendement au copyright de 1976, le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) du 27 octobre 1998 porte un coup très rude aux bibliothèques numériques, en plein essor avec le développement du web. Nombre de titres doivent être retirés des collections, et des œuvres censées tomber dans le domaine public l’année suivante restent finalement sous copyright, au grand dam de Michael Hart, fondateur du Projet Gutenberg, de John Mark Ockerbloom, créateur de l’Online Books Page, et de bien d'autres.

Si le Projet Gutenberg s’est donné pour mission de diffuser gratuitement par voie électronique les œuvres du domaine public, sa tâche n’est guère facilitée par ce nouvel amendement. La section Copyright HowTo détaille les calculs à faire pour déterminer si un titre publié aux États-Unis appartient ou non au domaine public. Les œuvres publiées avant 1923 sont soumises au copyright pendant 75 ans à partir de leur date de publication (elles sont donc maintenant dans le domaine public). Les œuvres publiées entre 1923 et 1977 sont soumises au copyright 95 ans à partir de leur date de publication (rien ne tombera dans le domaine public avant 2019). Une œuvre publiée en 1998 et les années suivantes est soumise au copyright pendant 70 ans à partir de la date du décès de l’auteur s’il s’agit d’un auteur personnel (rien dans le domaine public avant 2049), ou alors pendant 95 ans à partir de la date de publication - ou 120 ans à partir de la date de création - s’il s’agit d’un auteur collectif (rien dans le domaine public avant 2074). Tout ceci dans les grandes lignes, d’autres règles venant s’ajouter à ces règles de base.

Lors d’un entretien par courriel, Michael Hart explique en juillet 1999: «Le copyright a été augmenté de 20 ans. Auparavant on devait attendre 75 ans, on est maintenant passé à 95 ans. Bien avant, le copyright durait 28 ans (plus une extension de 28 ans si on la demandait avant l’expiration du délai) et, avant cela, le copyright durait 14 ans (plus une extension de 14 ans si on la demandait avant l’expiration du délai). Comme on le voit, on assiste à une dégradation régulière et constante du domaine public. (…) J’ai été le principal opposant aux extensions du copyright, mais Hollywood et les grands éditeurs ont fait en sorte que le Congrès ne mentionne pas mon action en public. Les débats actuels sont totalement irréalistes. Ils sont menés par “l’aristocratie terrienne de l’Âge de l’Information” et servent uniquement ses intérêts. Un Âge de l’Information? Et pour qui?»

Le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) a pour objectif plus ou moins avoué de contrer le formidable véhicule de diffusion qu'est l'internet. Au fil des siècles, chaque avancée technique est accompagnée d'un durcissement du copyright, qui semble être la réponse des éditeurs à un accès plus facile au savoir, et la peur afférente de perdre des royalties. Les dates évoquées par Michael Hart sont les suivantes, comme expliqué en détail dans son blog:

John Mark Ockerbloom, créateur de l’Online Books Page, explique en août 1999: «À mon avis, il est important que les internautes comprennent que le copyright est un contrat social conçu pour le bien public - incluant à la fois les auteurs et les lecteurs. Ceci signifie que les auteurs doivent avoir le droit d'utiliser de manière exclusive et pour un temps limité les œuvres qu'ils ont créées, comme ceci est spécifié dans la loi actuelle sur le copyright. Mais ceci signifie aussi que leurs lecteurs ont le droit de copier et de réutiliser ce travail autant qu'ils le veulent à l'expiration de ce copyright. Aux États-Unis, on voit maintenant diverses tentatives visant à retirer ces droits aux lecteurs, en limitant les règles relatives à l'utilisation de ces œuvres, en prolongeant la durée du copyright (y compris avec certaines propositions visant à le rendre permanent) et en étendant la propriété intellectuelle à des travaux distincts des œuvres de création (comme on en trouve dans les propositions de copyright pour les bases de données).»

Pour éviter les poursuites judiciaires, le Projet Gutenberg se lance régulièrement dans des recherches qui peuvent être longues pour déterminer si tel ou tel livre est du domaine public ou non. Michael Hart raconte en 2007 sur le site du Project Gutenberg Consortia Center (PGCC) que la version originale en tchèque de RUR: Rossum’s Universal Robots (Les robots universels de Rossum), une œuvre de science-fiction de Karel Capek publiée en 1920, lui a demandé des années de recherches dans le monde entier pour avoir l’assurance que cette version était bien du domaine public aux États-Unis.

Une lueur d'espoir existe toutefois pour les livres parus après 1923. D’après Greg Newby, directeur de la Project Gutenberg Literary Archive Foundation (PGLAF), un million de livres publiés aux États-Unis entre 1923 et 1963 appartiendrait en fait au domaine public puisque seuls 10% des copyrights sont effectivement renouvelés - avec renouvellement demandé entre 1950 et 1993. Les livres au copyright non renouvelé peuvent donc légalement intégrer les collections du Projet Gutenberg. Pourquoi la période 1923-1963? Parce que les livres parus avant le 1er janvier 1923 sont du domaine public et que les livres parus à compter du 1er janvier 1964 ont vu leur copyright automatiquement renouvelé suite à l'adoption du 1976 Copyright Act.

Pour un titre donné, comment savoir si le copyright a été renouvelé ou non? Pour les livres aux copyrights renouvelés en 1978 et après, on dispose de la base de données en ligne du U.S. Copyright Office. Pour les livres aux copyrights renouvelés entre 1950 et 1977, on ne disposait que des publications imprimées bimestrielles du même Copyright Office. Ces listes sont donc numérisées en 2004 par Distributed Proofreaders et mises en ligne dans le Projet Gutenberg. Si un livre publié entre 1923 et 1963 ne figure sur aucune de ces listes, cela signifie que son copyright n'a pas été renouvelé, qu'il est donc tombé dans le domaine public et qu'on peut le traiter. En avril 2007, l’Université de Stanford (Californie) convertit les listes numérisées du Projet Gutenberg en une base de données dénommée Copyright Renewal Database (Base de données des renouvellements de copyright), avec recherche possible par titre, par auteur, par date du copyright et par date de renouvellement du copyright.

L’Union européenne est elle aussi touchée par un durcissement du copyright, durcissement qui affecte en fait tous les pays ayant signé en décembre 1996 le Traité sur le copyright de l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), plus connu sous le nom de WIPO Copyright Treaty (WCT) et visant surtout les éditions numériques, de plus en plus nombreuses. La Directive EUCD (European Union Copyright Directive – Directive sur le droit d’auteur dans l’Union européenne) est entérinée en mai 2001 et fait passer le copyright de cinquante ans à soixante-dix ans après le décès de l’auteur. Son nom complet est: «Directive 2001/29/EC du Parlement européen et du Conseil européen sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information». Elle fait suite à la Directive 93/98/EEC de février 1993 demandant l’harmonisation des législations des différents pays de l’Union européenne en matière de protection de droit d'auteur. Comme aux États-Unis, elle répond sans nul doute aux pressions exercées par quelques multinationales en vue d’une mondialisation du marché, le but officiel étant de renforcer le respect du droit d'auteur sur l'internet et de contrer ainsi le piratage. La Directive EUCD entre progressivement en vigueur dans tous les pays de l'Union européenne, avec la mise en place de législations nationales, En France par exemple, la loi DADVSI (Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information) est promulguée en août 2006, et n'est pas sans susciter de nombreux remous.

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