Le livre 010101 (1971-2015)

Une information plurilingue

La langue comme vecteur de culture

Consultant en marketing internet chez Globalink, société de logiciels et services de traduction, Randy Hobler écrit en septembre 1998: «Comme l’internet n’a pas de frontières nationales, les internautes s’organisent selon d’autres critères propres au médium. En termes de multilinguisme, vous avez des communautés virtuelles, par exemple ce que j’appelle les "nations des langues", tous ces internautes qu’on peut regrouper selon leur langue maternelle quel que soit leur lieu géographique. Ainsi la nation de la langue espagnole inclut non seulement les internautes d’Espagne et d’Amérique latine, mais aussi tous les Hispanophones vivant aux États-Unis, ou encore ceux qui parlent espagnol au Maroc.»

Bruno Didier, webmestre de la bibliothèque de l’Institut Pasteur, écrit en août 1999: «Internet n’est une propriété ni nationale, ni linguistique. C’est un vecteur de culture, et le premier support de la culture, c’est la langue. Plus il y a de langues représentées dans leur diversité, plus il y aura de cultures sur internet. Je ne pense pas qu’il faille justement céder à la tentation systématique de traduire ses pages dans une langue plus ou moins universelle. Les échanges culturels passent par la volonté de se mettre à la portée de celui vers qui on souhaite aller. Et cet effort passe par l’appréhension de sa langue. Bien entendu c’est très utopique comme propos. Concrètement, lorsque je fais de la veille, je peste dès que je rencontre des sites norvégiens ou brésiliens sans un minimum d’anglais.»

Professeur en technologies de la communication à la Webster University de Genève, Henri Slettenhaar insiste lui aussi sur la nécessité de sites bilingues, dans la langue originale et en anglais. Il écrit en décembre 1998: «Les communautés locales présentes sur le web devraient en tout premier lieu utiliser leur langue pour diffuser des informations. Si elles veulent également présenter ces informations à la communauté mondiale, celles-ci doivent être aussi disponibles en anglais. Je pense qu’il existe un réel besoin de sites bilingues. (...) Mais je suis enchanté qu’il existe maintenant tant de documents disponibles dans leur langue originale. Je préfère de beaucoup lire l’original avec difficulté plutôt qu’une traduction médiocre.» Il ajoute en août 1999: «À mon avis, il existe deux types de recherches sur le web. La première est la recherche globale dans le domaine des affaires et de l’information. Pour cela, la langue est d’abord l’anglais, avec des versions locales si nécessaire. La seconde, ce sont les informations locales de tous ordres dans les endroits les plus reculés. Si l’information est à destination d’une ethnie ou d’un groupe linguistique, elle doit d’abord être dans la langue de l’ethnie ou du groupe, avec peut-être un résumé en anglais.»

Tôt ou tard, le pourcentage des langues sur le réseau correspondra-t-il à leur répartition sur la planète? Rien n’est moins sûr à l’heure de la fracture numérique entre riches et pauvres, entre zones rurales et zones urbaines, entre régions favorisées et régions défavorisées, entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud, entre pays développés et pays en développement. Selon Zina Tucsnak, ingénieure d’études au laboratoire ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française), interviewée en octobre 2000, «le meilleur moyen serait l’application d’une loi par laquelle on va attribuer un "quota" à chaque langue. Mais n’est-ce pas une utopie de demander l’application d’une telle loi dans une société de consommation comme la nôtre?» À la même date, Emmanuel Barthe, documentaliste juridique dans le cabinet d’avocats Coutrelis & Associés, exprime un avis contraire: «Des signes récents laissent penser qu’il suffit de laisser les langues telles qu’elles sont actuellement sur le web. En effet, les langues autres que l’anglais se développent avec l’accroissement du nombre de sites web nationaux s’adressant spécifiquement aux publics nationaux, afin de les attirer vers internet. Il suffit de regarder l’accroissement du nombre de langues disponibles dans les interfaces des moteurs de recherche généralistes.»

Au cours de l'été 2000, les usagers non anglophones dépassent la barre des 50%, d’après la société Global Reach, pour atteindre 52,5% en été 2001, 57% en décembre 2001, 59,8% en avril 2002, 64,4% en septembre 2003 (dont 34,9% d’Européens non anglophones et 29,4% d’Asiatiques) et 64,2% en mars 2004 (dont 37,9% d’Européens non anglophones et 33% d’Asiatiques).

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